Gloutons & Dragons - Critique

Le Seigneur des Fourneaux

Qu’il fait bon d’être fan de Gloutons & Dragons en 2024 ! Débuté en 2014 dans le réputé magazine Harta, la série est publiée chez nous depuis 2017 par Sakka/Casterman. Longtemps restée dans l’ombre du marché français, en dépit d’une certaine popularité outre-atlantique, la série connait désormais la lumière grâce à une adaptation anime de haut-vol. Portée par le studio Trigger et diffusée tout le long de cet hiver sur Netflix – et dont une saison 2 a déjà été annoncée –, l’extravagance de son concept et le charme de ses personnages a captivé internet. De bons petits plats (de monstres), de bons copains et un univers passionnant, tous les ingrédients semblent effectivement là pour un vrai succès.

Gloutons & Dragons reprend à son compte de nombreux codes issus des univers d’heroic fantasy et de RPG aux ambiances médiéval-fantastiques. Un parti pris souvent vu ces dernières années qui ici se démarque par une véritable connaissance de ces éléments, afin de les exploiter en profondeur. Il existe ainsi plusieurs races (les humains, les elfes, les nains…) et l’exploration de donjons en guise de gagne-pain est une pratique courante dans cet univers. Avec pléthore de monstres et autres dangers en leur sein, mais également de trésors à découvrir.

C’est plus ou moins l’objectif de nos héros au début de l’histoire, mais la faim et la fatigue les conduit à être sèchement battus par un dragon. Diminués en équipement et en effectif, Laoïs, le meneur de la bande, décide toutefois de retourner au plus vite dans le donjon afin de sauver sa sœur, engloutie par le dragon. Et, c'est pour résoudre le problème des vivres que le titre prend toute sa saveur, puisque nos protagonistes (enfin surtout Laïos) prennent la décision radicale de se nourrir sur place : en mangeant les monstres du donjon.

La joyeuse troupe menée par Laïos, passionné inconditionnel des monstres ©Ryoko Kui,KADOKAWA/Delicious in Dungeon PARTNERS

Ce concept pour le moins original permet à la série d’exploiter sa première force, à savoir un univers savamment construit. Les créatures croisées au fil des épisodes vont autant servir à nourrir la bande de Laïos que le lore. Cela va de la nature de chaque monstre, à leur constitution et leur comportement. Ces informations servent autant à cuisiner correctement ces créatures qu’à en venir à bout. Une logique de chaine alimentaire est aussi de la partie, faisant du donjon un environnement mystérieux, mais répondant à une logique aussi organique qu’implacable.

De quoi amener d’autres détails, comme le besoin de respecter cet écosystème en prenant garde à ne jamais en abuser pour le préserver. La série sait parfaitement surprendre avec la logique et la complexité de son environnement, et on se laisse finalement transporter par sa fantaisie presque trop crédible pour être imaginaire. Cette minutie ne se cantonne pas à la dimension biologique qui prend tout autant de plaisir à détailler la manière dont fonctionne son univers, des groupes d’aventuriers à la magie la plus élémentaire.

De fait, on peut apprécier le rapport d’échelle ingénieux du récit, aussi individuel que global. Chaque personnage témoigne d’un parcours qui leur est propre avec des conséquences sur leur personnalité et leur vision du monde. Des détails partagés plus ou moins amplement au fil du récit, toujours avec un certain naturel, constituant aussi une belle manière de connaitre petit à petit le groupe des héros. Pour les plus curieux, on ne peut que recommander de se pencher sur le Guide Officiel paru chez Sakka, condensant toutes ces informations tout en développant certaines (attention, il demande d’être un poil plus avancé sur le manga !).

Un univers aussi fourni exige cependant une certaine richesse visuelle, ce que Gloutons & Dragons parvient à servir parfaitement. Déjà que le manga de Ryoko Kui propose un trait joliment détaillé et des designs aussi variés que somptueux, l’anime n’en fait pas moins pour transcrire ça en animation. Une réussite permise tout d'abord par l’excellent travail de Naoki Takeda sur le character design, dont il a su reprendre le sens du détail et son expressivité (ainsi que les 36 coiffures de Marcyle). Mais aussi par la sollicitation de Mao Momiji, un illustrateur spécialisé dans le dessin culinaire chargé du « food design », et de Yūto Kaneko au design des créatures.

Miam les bons encas monstrueux ©Ryoko Kui,KADOKAWA/Delicious in Dungeon PARTNERS

Il fallait bien une structure comme le Studio Trigger pour permettre une telle adaptation, déjà à l’origine d’une publicité pour le manga en 2019. Tout d'abord, pour assurer une production solide sur l’ensemble de l’anime, mais également par sa capacité à solliciter un large panel d’artistes talentueux, issus du studio ou non. Cela se remarque par les nombreux styles visuels employés, que ce soit dans la mise en scène que dans l’animation. Une richesse stylistique plaisante et surtout cohérente, montrant une intelligence à employer les bonnes personnes sur les bonnes séquences. Il y a de plus un soin évident dans la manière d’animer les monstres pour leur donner vie, ainsi que pour retranscrire l’expressivité de ses aventuriers.

Tantôt comique, tantôt étrange, tantôt sombre, voire glauque, Gloutons & Dragons est un vrai mélange de tons et d’ambiance tout du long. Un aspect que l’adaptation a parfaitement su retranscrire grâce à sa variété stylistique, mais aussi son excellente gestion du rythme. La dynamique entre les personnages garde ainsi tout son mordant, en particulier dans la troupe de Laïos. L’humour marche toujours autant, et reste malicieusement placé à des moments parfois inattendus, voire presque inappropriés. Mais, c’est cette maladresse naturelle qui fait tout le sel de la série. Il est aussi appréciable de voir qu’elle a su conserver l’aspect didactique de ses (appétissantes) séquences de cuisine qui ponctuent le récit.

Marcyle n'a pas fini de souffrir, désolé pour elle ©Ryoko Kui,KADOKAWA/Delicious in Dungeon PARTNERS

Verdict

Dans Gloutons & Dragons, tout est une question d’équilibre. C’est un point central de son univers, néanmoins c’est tout aussi valable pour l’œuvre en elle-même. Sa richesse passe tout autant par son lore fourni et minutieux, ses personnages attachants, maladroits et faillibles qu’un vrai sens de la dramaturgie. En cela, l’adaptation proposée ici par Yoshihiro Miyajima et Trigger a parfaitement compris cette philosophie. Chacun de ces éléments a été porté avec brio, et on ne peut que se réjouir de voir une si belle série être adaptée de manière aussi charmante, spectaculaire et touchante. L’anime est entre de bonnes mains, c’est certain, et on ne peut qu’être enthousiaste à l’idée de retrouver autant d’amour sur la saison 2 déjà annoncée.

Dans cet article

Critique Gloutons & Dragons : Le Seigneur des Fourneaux

9
Excellent
Un manga riche et passionnant, porté dans un anime généreux et passionné. Difficile de rêver mieux pour ce titre tant le staff a parfaitement saisi tout le charme de l'œuvre dans tous ses aspects.
Gloutons & Dragons