40 ans de Def Jam : le rap game, le vrai

Quel meilleur moment que l'anniversaire du label Def Jam Recording pour lancer un appel au retour de sa mythique série de jeux de baston ?

Mettons directement les pieds dans le plat : dans le monde merveilleux du rap, Def Jam Recording, c’est un peu l’équivalent du géant Rockstar Games dans le gaming. Véritable empire rapologique, la maison de disques fondée par les producteurs Rick Rubin et Russell Simmons a su conquérir l’industrie musicale toute entière, en signant dans ses rangs des artistes hip-hop légendaires allant de LL Cool J à Kanye West en passant par Warren G, Method Man, Redman, DMX, les Beastie Boys, Public Enemy, Nas ou encore 2 Chainz. Et quand bien même le rap vous en touche une sans faire bouger l’autre, vous devez quand même les remercier puisque c’est grâce à eux qu'est née la célèbre série de jeux vidéo Def Jam. Profitons donc de l’année des quarante ans de ce label mythique pour revenir sur ces véritables classiques du jeu de baston.

On a beau avoir été habitué aux crossovers complètement improbables depuis l’avènement de la série Super Smash Bros sur N64, lorsque en 2003 EA sort Def Jam Vendetta, un jeu de combat de rue dans lequel tous les plus grands rappeurs du label éponyme peuvent se tabasser les uns les autres sans vergogne, on vous assure que personne n’était prêt. On parle quand même de l’adaptation d’un jeu de catch assaisonné à la sauce hip-hop. Clairement, sur le papier, ça fait peur, d’autant que sa sortie américaine est prévue pour le 1er avril 2003 sur PS2 et Gamecube. Une grosse blague en perspective ?

Def Jam Vendetta: V comme Victoire

Absolument pas ! Disons-le même, le jeu est une merveille, autant d’un point de vue ludique que technique. Graphiquement, on est au top pour l’époque. Dans son jus, le titre propose plus de 1500 coups différents et un roaster de 15 personnages incluant les rappeurs Method Man, Ludacris et Scarface. On retrouve même les regrettés DMX et Prodigy, le membre décédé du mythique groupe new-yorkais Mobb Deep.

En matière de gameplay aussi, Def Jam Vendetta est dynamique et nerveux à souhait, en plus d’offrir aux joueurs une réelle dimension stratégique avec une gestion extrêmement bien rodée des contres, parades et autres saisies. Sans oublier bien sûr le mode “blaze” qui permet une fois que vous avez accumulé suffisamment de puissance, de frapper deux fois plus fort et de réaliser une attaque spéciale propre à chaque personnage. Bref, on retrouve dans Def Jam Vendetta tous les ingrédients nécessaires à un bon jeu de baston.

Et comme les choses sont bien faites, l’opus va rencontrer un franc succès auprès des joueurs et cumuler plus de 2 millions de ventes. Il n’en faudra évidemment pas plus pour motiver EA à enclencher une suite directe au titre. Et quelle suite puisqu’on parle tout de même du grand, que dis-je, du géant, Def Jam: Fight For New-York.

Def Jam: Fight For New-York, le GOAT

Disons les choses telles qu’elles sont : si Def Jam Vendetta était excellent, il n’en était pas moins un brouillon de ce que fut ce deuxième épisode lâché sur Gamecube, PS2 et Xbox au début de l’année 2004. Concrètement, ce Fight for New-York est plus beau et fait tout ce que faisait son aîné, mais en mieux.

Niveau palette de personnages déjà, on passe du simple à plus du double avec pas moins de 35 MC jouables, incluant l’intégralité du roaster de l’épisode précédent, les nouveaux artistes signés chez Def Jam et même d’autres noms du game issus des filiales de la maison-mère Universal. En vrac, on trouve Lil' Kim, Snoop Dogg, Method Man, Slick Rick, Xzibit, Memphis Bleek, Lil Flip, Scarface, Ghostface Killah, Redman, Fat Joe, Mobb Deep, Ice-T, N.O.R.E, Ludacris, Crazy Legs, Busta Rhymes, Bubba Sparxxx ou encore Sean Paul. Pour les fans de rap, mais aussi les amateurs de combats de rue, c’est juste une dinguerie.

En supplément d’un tout nouveau mode histoire qui fait directement suite au scénario du premier jeu, Def Jam: Fight For New-York enrichit et sublime une formule qui a déjà fait ses preuves auprès des joueurs. Le jeu est plus brutal dans ses coups et les combattants peuvent désormais choisir un, deux ou trois des cinq styles de combat parmi lesquels le streetfighting, le kickboxing, les arts martiaux, la lutte et les soumissions. De plus, le gameplay intègre enfin la notion de dégâts environnementaux. Autrement dit, si mettre des grosses patates de forain à votre adversaire ne vous suffit plus, vous pouvez désormais le balancer contre des barrières ou autres éléments du décor pour maximiser les dégâts infligés. Grisant.

A ce moment-là, EA est à son prime avec la licence Def Jam. L’épisode Fight For New-York s’écoule à plus de 2,5 millions d'exemplaires au total et tous les voyants sont au vert pour qu’un troisième épisode soit mis en chantier. Le studio est en confiance et les joueurs sont au rendez-vous. Dès lors, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?

Def Jam: Icon, la fin d’une époque ?

Lorsqu’en 2007 sort sur PS3 Def Jam: Icon, c’est la grosse désillusion. Nouvelle génération de machines oblige, on a beau être en face du plus bel épisode de la série, sa plastique dans les clous de ce que permet la technologie de l’époque est malheureusement l’arbre qui cache la forêt. En effet, dans celui-ci, les ambitions ne sont pas vraiment au rendez-vous.

La raison ? Pas le roster qui, bien que ramené à 29 personnages jouables, apporte tout de même son lot de nouveaux icônes du milieu à l’instar de Big Boi du groupe Outkast, T.I., The Game ou encore le roi du crunk Lil Jon. Malheureusement EA a pris la décision surprenante de lisser et simplifier drastiquement le gameplay de son titre. Sous prétexte que Kudo Tsunoda, le producteur exécutif du jeu, pensait que le catch et le hip-hop n’allaient pas particulièrement bien ensemble, les combats de ce troisième opus vont d’un seul coup perdre tout le côté stratégique et subtil qui faisait le sel des jeux précédents.

En revanche, la musique est bien plus mise à l’honneur puisqu’elle n’agit plus comme une simple bande son destinée à nous mettre dans cette ambiance hip-hop typique du New-York des années 90. Elle est désormais pensée comme un outil à part entière mis au service du gameplay. Comme les décors réagissent au rythme de la musique de fond, celle-ci influe désormais directement sur les arènes de combat qui subissent des transformations en fonction du beat de chaque morceau. Bien entendu, les joueurs peuvent utiliser ces aléas à leur avantage pour tenter de prendre le dessus sur l’adversaire. Tous ceux qui y ont joué savent qu’il n’y a rien de plus kiffant que de réussir à projeter son rival sur un obstacle environnemental au moment même où celui-ci se déclenche grâce à la musique.

La “musicalité” des combats est d’autant plus importante qu’elle permet aux coups de poing et de pied d'un combattant de gagner en puissance s’ils sont exécutés en rythme avec le morceau joué en fond. Sans oublier bien sûr qu’un rappeur sera galvanisé et bénéficiera d’un avantage non négligeable si l’un des sons de sa discographie est joué durant le combat.

Aussi originale et en phase avec l’univers du rap soit cette feature, elle ne suffira malheureusement pas à sauver Def Jam: Icon du naufrage puisque l’opus ne dépassera même pas la barre des 500 000 ventes, toutes consoles confondues. Un échec commercial cuisant qui signera la mort définitive de la saga vidéoludique Def Jam. Dans sa version versus fighting du moins, puisque quelques années plus tard, Konami a repris le flambeau de la licence avec Def Jam Rapstar, un jeu de karaoké rap finalement assez anecdotique.

Quid d’un nouveau jeu Def Jam ?

Depuis, les années sont passées et de nombreux joueurs emplis de souvenirs nostalgiques espèrent désespérément un retour de la licence développée par Electronic Arts. C’est en tout cas ce qu’ont laissé penser les réactions du public lorsqu’en 2020, le label teasait à la surprise générale un retour imminent de la saga Def Jam en jeu vidéo.

Depuis ? Aucune annonce n’a officiellement été faite et la saga Def Jam semble pour de bon avoir été mise au placard. Deux ans après avoir publiquement réclamé un reboot de la licence, le rappeur Ice-T, jouable dans l’épisode Fight For New-York avait tenté d’expliquer pourquoi un quatrième volet du jeu de combat n’avait finalement pas été mis au four. Pour lui, la raison est simple : les studios ne souhaitent tout simplement pas se ruiner en achetant des droits d’exploitation du catalogue musical du label. “Tant de gens me demandent pourquoi ce jeu n’a pas été ramené pour les consoles modernes. Peut-être parce qu’ils devraient à nouveau payer pour les droits de voix et de musique. Peut-être ?”

En réponse à cette théorie, un twittos a assuré que si EA publiait un remake HD ou une nouvelle itération des jeux Def Jam, la société se ferait “des millions sur des millions !“. Ce à quoi Ice-T a répliqué qu’en dépit des grosses sommes générées par les jeux précédents, les artistes sollicités n’ont, selon ses dires, jamais été payés. Il a également souligné qu’avec l’ampleur qu’a pris le rap aujourd’hui et de la place dont il jouit dans l’industrie à notre époque, les sommes à investir pour rassembler un casting aussi ambitieux que les premiers jeux Def Jam en leur temps seraient exorbitantes.

Quoi qu’il en soit, ni EA, ni Konami, ni aucun studio de jeu vidéo ne s’est pour le moment officiellement positionné pour porter un tel projet. Pour autant, on ne peut s’empêcher de penser qu’un nouveau jeu Def Jam All Stars pour célébrer les 40 ans du label serait le plus beau cadeau que son président pourrait nous faire.

Surtout qu’en plus des légendes présentes dans les opus précédents, l’écurie actuelle de Def Jam aurait de quoi nous offrir un casting XXL et cinq étoiles pour un futur jeu : Drake, Travis Scott, Lil Baby, Kanye West, Nas, 2 Chainz, Pusha T, Lil Pump, Big K.R.I.T. Big Sean Common, Desiigner, Frank Ocean, Gunplay, Iggy Azalea Jadakiss, Jeezy Jeremih, Juelz Santana Chris Brown, Lil Durk, Logic Vic Mensa Vince Staples ou encore YG ne sont que quelques exemples. Je veux dire, qui ne paierait pas, même 80€ pour voir tout ce beau monde se foutre virtuellement sur la gueule ?


Jérémie Leger est rédacteur freelance IGN France.

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